Vampires — Sur invitation seulement
À l’origine, les vampires étaient une superstition. Un mal terrifiant, dont il fallait se protéger au plus vite. Les vampires sont indissociables des talismans qui gardent contre eux, ail et croix en tête.
Un des lieux communs des contes et superstitions est que la résidence est un lieu sûr. Le mal ne peut y entrer que s’il y est invité.
J’ignore à quel moment au juste cette superstition fut accolée aux vampires. Elle est absente de toutes les sources folkloriques que je connais et je ne l’ai rencontrée que dans des littératures très tardives. La plus ancienne référence que je connaisse est Fright Night, c’est dire.
L’invitation obligatoire est néanmoins restée collée aux vampires et s’est multipliée grâce à quelques très gros joueurs. Buffy en premier lieu, puis les avantures de Sookie Stackhouse et leur pendant télévisuel très réussi, True Blood. On la rencontre encore dans Låt den rätte komma in, où elle a presque un rôle titre (ainsi que dans le remake, Let me In).
Dormez sur vos deux oreilles — invitation obligatoire des vampires et narration
L’invitation obligatoire n’est pas commode à justifier, aussi aucun auteur n’a tenté de le faire, à ma connaissance. Elle offre toutefois quelques avantages narratifs.
Le prédateur nocturne
Le vampire est presque toujours un adversaire aussi formidable qu’implacable. Dans les cas où leur caractère monstrueux n’est pas occulté, l’invitation obligatoire offre aux personnages une protection simple, qui ne recquiert pas des pages et des pages de préparation minutieuse, qui peut même être inconsciente, et qui permet enfin de vaquer à une occupation toute simple: dormir.
Ayant protégé ses personnages de cette manière, l’auteur est libre de doter son vampire de tous les pouvoirs qu’il désire. Hypnose, force herculéenne, vol… Tout ce qui peux faire de son monstre une réelle menace.
Fausse sécurité
Le sentiment de sécurité procuré peut s’avérer dangereux, cependant. Un personnage non averti peut inviter le vampire sans s’en douter. Que se passe-t-il si un proche invite le vampire à entrer? Menacer les membres de la famille est un vieux truc des auteurs pour augmenter la tension. Un vampire pourrait se déguiser, prendre une autre forme, et être invité grâce à cette ruse. Si un vampire est un membre de la famille…
Les vampires ont des ennuis mécaniques
J’ai déjà parlé d’une tendance (que je juge détestable) à vouloir «scientifiser» les vampires, au mépris de la science et au détriment des vampires eux-mêmes. Cette manie de tout expliquer est en partie une conséquence du glissement du vampire d’un genre à un autre, c’est à dire du fantastique vers la fantasy urbaine.
La fantasy, si elle admet une part de fantastique, présente toujours l’inconvénient de nécessiter une certaine mécanisation. Un ensemble de lois régissent l’univers où se déroule l’histoire, et cet univers ne peut être compris par le lecteur sans ces lois. Cet exposé des lois peut prendre la voie d’une explication pseudo scientifique auquel, à mon avis, le vampire résiste mal. Les virus, en admettant qu’ils puissent provoquer une mutation chez un sujet adulte, ne peuvent pas tout expliquer. Une force supérieure, des sens plus développés, une allergie à l’ail, passons. Mais une impossibilité d’entrer dans une résidence sans être invité par un de ses habitants légitimes?
Dans ce cas, même les explications surnaturelles tiennent mal. Il faudrait imaginer une puissance énorme, capable de repousser les vampires, comme des dieux du foyer, entités protectrices qui ne sont plus dans le paysage depuis longtemps (quoi qu’elles pourraient représenter en soi un sujet intéressant).
Étrange et séduisant
D’ailleurs, aussi bien pour Buffy que pour Sookie, pas la moindre tentative d’explication n’est tentée. L’invitation obligatoire est posée en fait qui doit être accepté tel quel. Cette étrangeté apporte un aspect résolument surnaturel au vampire, qui le met à part des batard mi-scientifiques de Blade ou Underworld.
L’invitation obligatoire est donc une manière de protéger un personnage, de relever la tension grâce à un faux sentiment de sécurité, mais aussi de conférer au vampire une dose de mystère. Cela ne va pas sans complications cependant. Il devient souvent nécessaire, surtout dans le cas de longues séries, de répondre à certaines questions qui finiront par se poser.
Qui peut inviter un vampire?
Doit-on en être propriétaire? Locataire? Que se passe-t-il dans le cas des tours à logement? Le vampire peut-il entrer dans le couloir? Combien de temps faut-il rester quelque part pour avoir le «droit» d’inviter un vampire?
De plus, pour inviter, il faut y mettre la manière. Un muet peut-il inviter un vampire? Est-ce qu’un simple geste, voir une envie secrète trahie par le langage corporel, peut suffire? Les invitations écrites comptent-elles? Et si c’est écrit «bienvenue» sur votre paillasson? Et si vous permettez à votre agent d’immeuble de faire visiter votre maison? Peut-il inviter des vampires en votre nom?
On peut aussi s’interroger sur ce qui constitue une résidence. Une maison, ça va de soi. Prenons un manoir, maintenant, avec tout son personnel. Ou un château? À l’inverse, une roulotte est-elle protégée? Ou une tente? Une hutte, une grotte habitée depuis des générations?
Il y a «interdit» et «interdit»
Un vampire ne peut pas entrer, mais que se passe-t-il s’il passe outre? Est-ce que, comme dans Låt den rätte komma in, le sang lui sortira par tous les orifices? Se cognera-t-il à un mur, comme dans Buffy? Sera-t-il aussitôt repoussé par une force irrésistible, comme dans True Blood?
Dans True Blood, un vampire parvient à forcer Tara à l’inviter en utilisant son pouvoir de «glamour», ce qui ressemble un peu à de la triche. C’est en tous cas une situation où un vampire parvient à contourner sans problème, grâce à ses pouvoirs de vampire, une force irrésistible et inexplicable contre laquelle il ne peut rien, en principes.
Il faut enfin reconnaître que la protection accordée est relative. Dans un épisode de Buffy, Harmony lance une pierre à travers une vitre. Elle aurait tout aussi bien pu lancer un cocktail molotov, voire tirer à l’arme à feu.
J’ai invité un vampire; que faire?
Dans tous les cas ou l’invitation obligatoire est utilisée, il est certain qu’un vampire parviendra à s’introduire malgré tout. Comment réagir alors?
Dans Låt den rätte komma in, la question n’est pas abordée. L’invitation est symbolique: le vampire ne fais pas qu’entrer dans votre résidence, il entre dans votre vie et vous en prive, que ce soit en vous détruisant ou en vous prenant comme esclave. Sookie n’a qu’à annoncer à haute voix qu’elle retire son invitation pour chasser un vampire, ce qu’elle fait chaque fois qu’elle largue son petit copain (c’est-à-dire très souvent; cette Sookie est très capricieuse). Dans Buffy, retirer une invitation est une matière beaucoup plus compliquée, impliquant un rituel magique, dont elle n’abuse d’ailleurs pas.
Personnellement, j’ai un peu de mal avec la possibilité de retirer ses invitations à volonté, en particulier si cela implique qu’une force surnaturelle irrésistible intervienne manu militari pour chasser le vampire. Même si cela réussit relativement bien à True Blood, ceci dit.
Et si nous étions moins drastiques?
Les auteurs ont facilement tendance à oublier à quel point la chasse à l’homme en milieu urbain peut s’avérer problématique. Admettre l’existence des vampires revient à admettre que des prédateurs de l’espèce humaine parviennent à chasser en toute impunité depuis des siècles. Il faut pour cela qu’ils soient passablement doués et extrêmement prudents.
Entre autres, un vampire ne pourrait pas intégrer la violation de domicile dans ses habitudes. Quelqu’un le verrait forcément ramper sur un mur, l’entendrait forcer une porte ou une fenêtre, à un moment ou un autre. Il serait plus simple pour notre chasseur de se laisser inviter, non? On peut imaginer que ce serait aussi plus satisfaisant pour son ego de créature de la nuit.
L’invitation obligatoire et le Cycle des Bergers
Ici, la question est simplement réglée: les vampires de mes romans entrent où ils le veulent, comme ils le veulent.
Même si j’arrive à lui trouver des vertus, je reste mal à l’aise avec ce concept, et je me demande bien d’où il vient. De plus, même si je considère nuisible d’enfouir les lecteurs sous des tonnes d’explications et que j’aime bien préserver le mystère, il reste que je connais parfaitement l’origine de mes vampires, la source de leurs pouvoirs et la raison exacte de toutes leurs faiblesses, du soleil à l’eau courante en passant par les symboles religieux. Je n’ai rien trouvé de crédible pour expliquer l’invitation obligatoire.
Mais je dois admettre que je n’ai pas cherché non plus très longtemps.
J'aime bien ton point sur la tendance des auteurs de tout expliquer scientifiquement. Ça mène souvent à des débordements.
Je crois qu'il est généralement bon pour un auteur de savoir de quoi ses vampires sont faits, comme pour toute autre existence surnaturelle, ainsi que les règles les régissant.
Cependant, il faut bien comprendre que l'analyse rationnelle est une réalité datant surtout du Siècle des Lumières, et qu'énormément de gens ne s'en préoccupent aucunement. Donc, il est fort possible que les personnages du roman n'aient pas tendance à chercher cette analyse, et de toute façon, n'aient aucun moyen de procéder aux études approfondies qu'elle sous-tend.
Les lecteurs ne cherchent pas la réalité dans les oeuvres de fiction: seulement la vérisimilitude à l'intérieur des termes fixés par le roman.
Que le fonctionnement d'un vampire soit aussi obscur pour un protagoniste que le sont les influx nerveux menant aux émotions pour un humain du XVème siècle me semble tout à fait naturel.
Il y a un élément que je n’ai pas exploré dans ton commentaire Alexandre, et c’est la possibilité pour le personnage de rechercher l’explication de leur état de vampire. À ma connaissance, il n’y a guère que dans Daybeakers que cette dimension est abordée. On dira que c’est au mieux une semi-réussite.
Cela implique toute la question de la société vampirique, que je compte bien explorer dans un prochain article. Je vois mal en effet comment un vampire pourrait étudier sa nature sans une relation étroite avec ses congénaires, quand on connait le degré d’organisation que la recherche implique.
Le sujet m’interpèle parce que certains de mes personnages sont justement des vampires scientifiques intéressés par cette recherche. Ils se butent à divers interdits de leur société, et ce n’est pas un aspect très exploré dans le premier roman, mais il le sera certainement par la suite.
Dans mes livres, la société vampirique est dominée par la religion. Il y a donc un premier interdit: les vampires sont comme ils sont par la nature miraculeuse de leur sang, chercher ailleurs est un sacrilège. De plus, les vampires n’ont pas le droit de laisser de trace écrite, afin que personne ne puisse prouver qu’un même individu a vécu des siècles. Enfin, plusieurs vampires sont nés à des époques ayant précédé la science, et voient d’un mauvais œil toutes ces recherches. C’est un peu comme quand la science a prouvé notre parenté avec le singe.