Monter un livre de fiction — Il y a de la marge
Ce billet est la suite d’une série sur la mise en page des romans et autre livres de fiction.
Je croyais avoir terminé ma série de billets sur la mise en page d’un livre de fiction, mais il semble que l’on se soit jamais au bout de ses peines. Il m’arrive encore régulièrement de lire les guides offerts aux débutants dans le domaine, et il est évident que la plupart ont eux-même été rédigés par des débutants. Ne rien connaître à rien passe encore, on est tous comme ça avant d’apprendre. L’ennui, c’est quand les ignorants répandent leur «savoir».
Dernière bourde en date, les marges. J’ai lu quelque part que les marges devaient être égales et haut et en bas, à gauche et à droite. Ce sont des balivernes.
Comme d’habitude, la réalité est bien plus complexe. Et c’est à vous, et à vous seul, de décider quelles seront les marges de votre livre. Il n’y a pas de règle à ce propos, pas de loi, ni presque de guide. Comme d’habitude, il y a des points à considérer, des éléments auxquels vont devez faire très attention afin de prendre une décision éclairée.
Quels sont donc ces points?
La sécurité
Commençons par le plus rigide de tous: la marge de sécurité. Si vous ne le savez pas déjà, je vous l’annonce ici: votre livre sera coupé après assemblage. Si la couverture et toutes les pages sont si scrupuleusement égales, ce n’est pas à cause d’un travail minutieux, c’est parce qu’une machine tranche dedans. Ce n’est pas un procédé précis. Le texte peut bouger d’une page à l’autre, son volume change selon des facteurs tels que l’humidité et la température, bref il faut se donner de la marge. Si votre texte approche trop des bords de la page, il y a des risques qu’il soit tout bonnement tranché.
Votre imprimeur vous donnera des marges de sécurité à respecter. Sinon, demandez-les. Respectez scrupuleusement ces marges, même pour la pagination, les entêtes et les pieds de pages, ainsi que les informations écrites sur la couverture.
La commodité
Le livre est un objet. Il est destiné à être manipulé, tenu, soutenu, utilisé. D’une manière modeste, vous êtes donc le designer de cet objet. La forme que vous lui donnez dépend de sa fonction, qui est essentiellement d’être lu.
Cela signifie en clair que, dans un monde idéal, les marges doivent permettre au lecteur de tenir le livre sans toucher le texte. Les gens tenant en général les livres par l’extérieur et le bas de la page, cela peut signifier des marges plus importantes de ce côté. Un petit truc: ce n’est pas très grave que le pouce du lecteur cache le numéro de page.
La commodité ne dépend pas seulement de la grosseur des doigts de vos lecteurs, mais aussi de la taille du livre. Plus il sera grand, plus il sera épais, et plus des marges larges seront commodes.
Si vous avez lu régulièrement (je vous le souhaite), vous avez certainement pu constater que les marges trop étroites sont loin d’êtres rares. Les critères d’économie dirigent aussi les choix. S’il est bon de ne pas les oublier, il faut aussi se souvenir que monter un livre n’est pas une occasion de passer votre frustration sur vos futurs lecteurs.
Un travail sous couverture
Le type de reliure aura un effet sur la manière de tenir le livre. Un livre à couverture souple par exemple est généralement tenu par le côté, un livre à couverture rigide davantage tenu par le bas.
L’économie
Principale raison de rogner les marges d’un lire: augmenter la marge bénéficiaire. Les marges ont un certain effet sur le nombre de pages et, partant, sur le coût d’impression. C’est un motif un peu mesquin, mais dont vous aurez l’occasion de peser les mérites, en particulier si vous êtes autoédité.
La longueur de lignes
On l’a vu, la longueur de ligne ne doit être ni trop grande, ni trop courte. Plus les marges seront étroites, et plus la ligne sera longue.
La longueur de ligne ne dépend pas que de la largeur des marges, mais aussi et surtout de facteurs tels que la police de caractère (et sa chasse) et le corps de texte. En théorie, plus la chasse sera étroite, plus le corps sera petit, et plus les marges devraient être larges.
Ici, le critère d’économie entre en jeu. Vous devrez déterminer si vous gagnez plus d’espace en diminuant le texte qu’en amincissant les marges. N’oubliez pas que des lignes trop longues se corrigent par une augmentation de la hauteur de ligne. Selon le format du livre, l’âge de votre public cible, la fonte choisie, vos marges changeront. Monter un livre est un exercice d’équilibriste. Il n’y a pas de formule pour résoudre cette complexité. Vous devrez expérimenter, peser et choisir.
La reliure
Toute reliure accapare une partie de l’espace de la feuille. Dans certains cas, cet espace est mince (reliure allemande, par exemple) et dans d’autre, il est très important (reliure boudinée, par exemple). Vous devez prévoir cet espace et en faire abstraction au moment de déterminer l’aspect de votre livre. Pensez à prévoir un peu plus de marge intérieure si votre livre est très épais car, à un certain point, la courbure prononcée des pages nuira à la lecture.
La belle forme
La mise en page, comme tout sujet touchant à l’art ou l’artisanat, a été pesamment étudié, voire codifié. Des théories plus ou moins farfelues impliquant généralement le nombre d’or ont été édictées. Ces canons ont cédé aujourd’hui sous les impératifs économiques. Reste que la simple beauté n’est pas à négliger dans la mise en page d’un livre.
Tout bon monteur sait que les différents éléments participent à un rythme sur la page. Les marges sont le deuxième élément le plus massif de la page. Leur largeur relatives par rapport au texte d’abors, mais aussi entre elles, sont l’essentiel des outils dont dispose le monteur pour donner du dynamisme à sa page, ou au contraire lui donner l’immobilité d’une tombe.
Il n’y a pas de recette. Expérimentez. Développez votre œil.