La mautadite lettre de refus
Un bout de temps sans bloguer cache parfois beaucoup de travail par ailleurs. Ainsi, j’ai terminé la réécriture de mon histoire de vampire, Le Cercle de Fer. Reste à mettre les pièces en place, et je pourrai passer aux choses sérieuses, c’est-à-dire la publication hors Wattpad, révisée éditorialement et linguistiquement.
En attendant, j’ai eu l’occasion de participer, encore avec beaucoup de bonheur, au congrès Boréal, tenu cette année à la loge maçonnique. C’est l’occasion de rencontrer des auteurs passablement plus impliqués que moi, et toujours passablement sympathiques, parfois autour d’une bonne bière dans un pub irlandais du centre-ville de Montréal. Et de se dire que, décidément, il y a des choses qui devraient être écrites dans un billet de blogue.
La conversation en question, elle était avec rien de moins qu’Ariane Gélinas et Frederick Durand. Si vous ne les connaissez pas, disons que ce sont deux auteurs qui connaissent le processus éditorial. Ils ont tous les deux plusieurs livres publiés chez de nombreux éditeurs, un paquet de prix littéraires, une érudition qu’il serait ridicule de mettre en doute et un degré d’implication assez rare (mais heureusement pas trop) dans le milieu de la littérature de genre au Québec.
Et ce qui est fantastique quand on discute avec les auteurs confirmés, c’est qu’on découvre qu’ils ont connu les mêmes problèmes que nous, pauvres mortels.
À savoir ce qui arrive dans nos têtes et dans nos cœurs quand, tout jeune auteur inexpérimenté, on reçoit une réponse d’un éditeur.
Qu’elle soit positive ou négative, elle cause toujours un choc. En tout cas, j’en ai connu quelques-uns, et mes deux amis sus nommés en ont eu aussi. Et tous en chœur de se dire : « Il faut que quelqu’un prenne la peine d’écrire là-dessus. »
Alors me voilà, trois mois plus tard.
Je vais essayer de faire court… Oups. C’est déjà raté.
Alors je vais faire long, parce que c’est important.
La démarche éditoriale
Une première chose que tout aspirant écrivain doit savoir, c’est qu’il existe une démarche éditoriale. La démarche éditoriale, c’est un peu comme un cours de karaté : ça fait mal des fois, mais ça nous endurcit. Contrairement au karaté cependant, on n’a généralement pas besoin de payer pour en bénéficier.
Cette démarche éditoriale, c’est le meilleur ami de l’écrivain. Avant son chat. Même si vous ne la connaissez pas. C’est le moment où quelqu’un de plus expérimenté juge que vous méritez d’aller plus loin et qu’il va mettre son temps et son savoir pour vous y aider.
Quand on est jeune auteur, on ne s’en rend pas compte. Quand on rencontre la démarche éditoriale, c’est comme si on voyait débarquer un monstre dans une ruelle sombre. On a profondément enfoncé quelque part le mythe du génie qui réussit du premier coup et qui n’a rien à corriger. Peut-être qu’on a trop souvent regardé Amadeus. Et personne ne nous a jamais détrompés.
J’ai eu le bonheur de rencontrer assez tôt des écrivains qui m’ont expliqué. Danielle Dussault, entre autre, que je salue (elle aussi, elle est plus que confirmée ; lisez-là, c’est bon pour la santé). Assez tôt, mais assez tard aussi pour avoir rencontré le monstre deux fois, et même m’être sauvé en courant.
Bref, vous, auteur débutant (non, sérieusement, si vous n’êtes pas un auteur débutant, il y a longtemps que vous auriez dû arrêter de lire, ce papier ne vous servira à rien), vous, vous dis-je, vous voulez la démarche éditoriale. Et où la trouverez-vous ?
Voilà une autre chose que les auteurs débutants ignorent trop souvent : vous avez peu de chance de la trouver dans les maisons d’édition. L’éditeur a plusieurs casquettes à porter, des obligations et des responsabilités, et vraiment trop peu de temps libre. Ce qu’il a en abondance, ce sont des manuscrits. Il doit en rejeter vingt par jour seulement parce que leur auteur n’a pas pris la peine de lire la politique éditoriale. Et pour qu’il prenne un auteur sous son aile, il faut encore qu’il compte le publier. Et donc qu’il pense que ça l’aidera à payer ses factures.
Je n’ai pas un mot à dire contre les éditeurs. J’en suis pratiquement un moi-même. Ce n’est pas une sinécure et certainement pas une voie à emprunter à moins d’adorer la littérature. Même les grosses, très grosses maisons, emploient des passionnés qui adorent découvrir et aider de nouveaux auteurs. Mais les appelés sont nombreux. Les élus sont de plus en plus nombreux aussi (ça, c’est une autre question), mais les probabilités ne sont pas en votre faveur. En particulier si vous n’avez jamais eu de contact éditorial, et vécu la fameuse démarche éditoriale.
Alors, où la trouver, cette démarche éditoriale ? Dans les revues littéraires.
Et si vous ne savez pas ce qu’est une revue littéraire, je vais vous faire un résumé. Une revue littéraire, c’est une publication périodique qui publie des textes littéraires. Vous devinez tout de suite que ce ne sont pas de trucs qui roulent sur l’or. Ce sont de machines à vapeur où on brûle de la passion pour faire chauffer la marmite du génie. Et, si elles ont toutes leurs chouchous, elles vivent dans l’angoisse de manquer de relève. Cette relève, c’est peut-être vous.
Quand ça marche
Ces revues, il ne faut pas rêver, disent plus souvent non que oui. Mais elles disent oui bien plus souvent que les maisons d’édition. Elles publient de la nouvelle, pas du roman, alors le risque est bien moins grand. Ensuite, parce que leur fonction n’est pas la même. Leur fonction est de tenir une passion vivante, ce qui implique de trouver de nouveaux talents, de leur donner une voix, une expérience.
Alors elles disent oui souvent. Si elles ne connaissent pas votre nom, ça ne joue pas contre vous. Au contraire. Elles seront indulgentes avec vous. Parce que tous les gens qui y travaillent ont été à votre place, un jour. Parce que vous êtes une partie de la raison pour laquelle ils sont là.
Alors, disons que ça marche. Il se peut que votre texte passe tout droit est soit publié. Ce n’est pas censé se passer comme ça, mais ça arrive. Ça m’est arrivé deux fois, au début. Je vous dis, les revues sont indulgentes avec les jeunes.
Mais, fort probablement, quelqu’un dans une revue a lu votre texte, l’a repassé avec un gros stylo (de plus en plus virtuel), et l’a peut-être soumis à un collègue, qui y a écrit des commentaires. Et le manuscrit vous revient avec plein de notes. Et de commentaires. Et ça peut être dur.
Ça m’a désarçonné. Même mes deux amis sus nommés ont avoué avoir eu un choc, la première fois. Alors, pour vous épargner ça, voici trois petites choses à garder en tête.
Point 1 : l’éditeur est votre ami
Tous ces commentaires bêtes, méchants et injustes viennent de quelqu’un qui vient de vous dire oui, alors qu’il dit non à la plupart des autres. Vous avez été choisi. Prenez une seconde pour intégrer ça.
Maintenant, la petite douche froide. Si vous débutez dans l’écriture, il y a des chances que votre texte soit très perfectible. L’éditeur n’a peut-être pas dit oui tant au texte qu’à l’auteur. Peut-être a-t-il senti que vous pouvez aller plus loin, il désire vous y mener. C’est le moment de faire preuve d’humilité et de le laisser faire.
Point 2 : l’éditeur n’est pas parfait
Et il le sait la plupart du temps. Normalement, certaines remarques semblent très fondées, d’autre complètement à côté de la plaque. Certaines injustes. Cet éditeur n’a rien compris à ce que vous avez écrit !
Vous savez quoi ? Les corrections qui rougissent votre manuscrit sont des suggestions. Dans tout processus éditorial, vous êtes libre de dire oui ou non. C’est vous l’auteur, après tout. Et il est normal que l’éditeur veuille vous mener vers ses propres préférences, ses propres références. Alors, étudiez les corrections avec honnêteté et détachement. Prenez le temps d’explorer le point de vue de votre éditeur. Soyez honnête, tant avec lui qu’avez vous-même.
Et souvenez-vous : vous avec le droit de refuser des changements proposés. Mais l’éditeur a aussi le droit de ne pas vous publier. Oui, c’est compliqué. C’est une relation, au fond.
Point 3
Il n’y a pas vraiment de point trois. Je trouve ça plus joli d’avoir un point trois, alors j’en ai mis un. Si ce texte avait été soumis à une démarche éditoriale, vous ne seriez pas en train de lire ce texte inutile. Pensez-y.
Quand ça ne marche pas
La plupart du temps, vous allez vous cogner le nez sur un refus. C’est mathématique. Heureusement, il y a plusieurs revues littéraires, alors vous pouvez le soumettre ailleurs.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a cinq types de refus. Peut-être plus, mais ce sont les cinq types dont je peux témoigner, parce que je les ai eus.
Refus 1 : le refus motivé
Bonjour chose, nous avons bien reçu votre histoire. Malheureusement, c’est trop embrouillé, et c’est cliché un peu, quand même.
C’est sans doute le meilleur refus que vous puissiez recevoir. Quelqu’un a donc pris la peine de lire votre texte et de l’évaluer, pour vous dire pourquoi il le refuse.
Paradoxalement, c’est aussi le refus qui fait le plus mal, parce qu’il remet en cause votre travail. En particulier s’il s’appuie sur une variable que vous ne pouvez pas changer (une histoire de vampires, encore ?) Sinon, elle peut vous permettre de retravailler votre texte. Voire de le soumettre de nouveau (ailleurs, autant que possible).
Le bon côté, c’est que ce type de refus est très rare. Un éditeur ne le réserve qu’aux auteurs qu’il croit capables de s’améliorer. L’éditeur sait très bien la douleur qu’il cause. Il ne s’en donnerait pas la peine s’il n’avait pas une certaine foi en vous.
Dites merci. Sérieusement, dites merci.
Refus 2 : la politique éditoriale
Là, c’est moins gentil. La moindre des choses, machin, c’est de prendre connaissance de la publication dans laquelle on veut être publié et de ne pas lui expédier des textes qui ne correspondent pas au genre qu’elle publie.
Paradoxalement, c’est la réponse qui fait le moins mal. Mais pensez bien que l’éditeur en a passablement plus qu’à l’auteur qu’il vient d’écorcher vif avec un refus motivé.
Demandez pardon, ou faites-vous oublier.
Refus 3 : la lettre type
Nous avons bien reçu votre texte. Malheureusement, nous recevons beaucoup de textes et nous ne pouvons pas tous les publier. Bla-bla-bla…
Il y a de grosses chances que cette lettre soit comme celles du père Noël : du bon gros copier-coller type avec juste le nom de l’enfant qui change.
C’est une réponse qui ne vous dit rien, en bien ou en mal. Vous ne pouvez rien en conclure. Vous allez hélas en recevoir beaucoup.
Refus 4 : les encouragements
Cette lettre débute tout à fait comme une lettre type, mais elle se termine par une formule d’encouragement. Nous avons décelé un potentiel pour l’écriture de fiction, et nous vous invitons à nous soumettre d’autres textes. Ou encore une référence à une autre revue littéraire, peut-être moins prestigieuse ou avec une politique éditoriale mieux adaptée à votre histoire.
Ces encouragements à poursuivre peuvent faire mal au jeune auteur, certain comme je l’étais d’avoir été frappé dès l’enfance par la foudre du génie, mais je sais qu’ils sont sincères. Ils veulent dire ce qu’ils veulent dire : que quelqu’un qui s’y connaît, quelqu’un qui est impliqué dans le métier, pense que vous devriez persister, et espère recevoir votre prochaine création.
Refus 5
Il n’y a bien entendu pas de refus 5. Après avoir mis un point trois en haut pour absolument rien, je me suis dit que plusieurs lecteurs ne liraient pas le dernier refus en se disant que ce serait certainement une blague. Et il ne fallait quand même pas rater les encouragements…
Conclusion un peu pute
Dans mes rêves les plus fous, il y aurait une meute de jeunes auteurs qui viendrait lire ce texte mais, mon cercle étant ce qu’il est, je crois qu’il risque d’être lu davantage, dans un premier temps, par des gens qui en savent passablement plus que moi sur la démarche éditoriale. Alors je les invite à communiquer leur pensée dans les commentaires. Et à propager férocement ce billet s’ils le croient utile.
Et si vous êtes vraiment celui ou celle à qui ce billet s’adresse, et qu’il vous reste des questions, c’est un bon endroit pour les poser.
Je confirme que c’est pas mal ça, avec peut-être une modulation qui va dépendre des publications. La seule fois que j’ai compilé une anthologie avec un gros volume de textes soumis (environ 200), j’ai fonctionné avec, autant que je me souvienne, quatre modèles de lettres (imprimées et postées, si si, c’était au siècle dernier). Il y avait en fait deux lettres d’acceptation : l’acceptation ravie (avec peut-être quelques commentaires personnels selon l’inspiration) et l’acceptation conditionnelle à un retravail plus ou moins en profondeur. Et deux lettres de refus : la lettre de refus motivée parce que l’auteur était prometteur et la lettre de refus sèche (pour les textes sans intérêt, voire non pertinents).
Merci Jean-Louis. Voilà un commentaire de première main.
Excellent résumé de la situation! Contente de faire partie des auteurs passablement sympathique avec qui tu as pris une bière (même si j’étais assise un peu loin pour qu’on jase). En passant, justement parce qu’on avait senti une grosse grosse incompréhension de ce qu’est la direction littéraire et la démarche éditoriale, Isa, Carl et moi y avons consacré un chapitre dans « Écrire et publier au Québec ». Et on a aussi parlé du fait que les revues donnaient plus de chance, permettaient d’apprendre.
On n’a pas détaillé les types de refus par contre. On aurait dû! Hihihihihi! (J’aime que tu dises « demandez pardon » à ceux qui n’ont pas lu la politique éditoriale! lolol! En effet, l’éditeur vous en voudra beaucoup. Entk, moi quand ça arrive, j’en veux personnellement à l’auteur… surtout si j’ai passé 25 pages à attendre l’élément SFF de la nouvelle!!!)
C’est vrai que j’ai soupé avec le gratin, ce soir-là.
Ne te gêne pas pour inclure un lien vers «Écrire et publier au Québec». Ce serait un service public. Étant donné le sujet de l’article, c’est un sacré placement de produit 😉
Pas mon genre de troller les blogues des autres pour faire du placement de produit, mais si tu m’y invites… 😉 http://www.sixbrumes.com/catalogue/ecrire-et-publier-au-quebec-les-litteratures-de-limaginaire-un-guide-pratique-disabelle-lauzon-genevieve-blouin-et-carl-rocheleau/
Perso, comme méchant éditeur qui refuse des textes (en moyenne, Brins d’éternité accepte seulement 10% des textes reçus), je dirais qu’on fait bel et bien des « refus motivés », mais dans ces cas-là, ça vient avec une demande explicite que l’auteur nous envoie d’autres textes. Ce qui arrive, peut-être, 50% du temps? C’est dommage.
Merci, Guillaume. En tant que refusé, je me sens pratiquement privilégié 😉
Je connais bien ce sujet mais c’est toujours un plaisir d’en lire une variante par l’avis éclairé d’un auteur refoulé.
D’ailleurs, tu m’apprends par la même occasion un mot que je ne connaissais pas mais qui semble plus connu au Québec : « mautadit ». Ceci dit, c’est un mot invariable (il faut aussi faire vivre notre belle langue donc je ne t’en veux point ha ha) ! 😉